lundi 7 novembre 2016

La fugue - feuilleton napolitain (7)

 

 

L'avenir







L'aventure du feuilleton se termine, et au moment de fermer la porte que j'ai ouverte sur le merveilleux, la photographie et Naples, je suis émue, gênée. Et j'ai oublié de vous parler de plein de choses. Du merveilleux par exemple, du spirituel caché sous la couche de fard, de la croyance chevillée au corps des napolitains, sous couvert de rudesse et de société d'apparence. On peut être une victime de la mode et avoir envie de se confesser en place publique une veille de Noël. C'est pas trop mon truc, mais il y a de la place pour ça.



Bien sûr, tout cela est très sérieux, c'est le caractère d'excès propre à la ville, qui me plaît. Je m'égaye à suivre cette démonstration de croyance ostentatoire et de dérisoire, et je profite de l'éclosion d'une légèreté de vivre aussi volatile qu'une bulle de savon.



On vit au milieu des églises, on vit au milieu des ex-voto, mais ça n'empêche pas de tromper sa femme. Il faut surtout se garder de séparer le bien du mal. Cela pourrait nous rendre bien plus mauvais encore.





Ce qui compte, ce qui marche, c'est le mélange, le sale et le jeune, le cruel et l'amour, la mort et l'enfance, le pourri et le sucré, le généreux et le traître.



Et pour se protéger de ces dangers, et de la vie féroce, une tendance au mysticisme, que je partage, mais pour ma part de préférence dehors, au bord de la mer, dans la lumière diffuse qui souffle sur l'horizon et le fait onduler.









Naples, la vie belle, posée sur une vie noire qui la nourrit.





Bon, c'est la fin du feuilleton, et je ne vous ai pas parlé des machos ! C'est une erreur, une autre. J'essaye de les réparer toutes avant la fin. Je n'y arriverai sans doute pas, mais j'ai envie de vous montrer au moins cette photo : la plage, un saint et des mini-slips de bain. J'ai vraiment hâte de retrouver ces théâtres de gestes et de regards.



Je vous laisse ici finir la visite, seuls.
Je reste encore un peu au bord de l'eau, à boire la lumière. Du défi de la fugue, de sa rudesse inquiète, de toute cette machinerie si lourde à mettre en mouvement, il reste la photo.
Et l'envie d'en faire encore.











Fin



Savine Dosda

Paris, le 7 novembre 2016.



mardi 1 novembre 2016

La fugue - feuilleton napolitain (6)

 

 

Les petits et les tristes







De l'avant vers l'arrière, l'eau roule et brille lentement.
La lumière de Naples me dissout, moi-aussi.






Je vais sur ma place favorite, des groupes d'ados jouent au foot et les lions encaissent les buts. Sur les lions, d'autres ados. Je n'ose pas les aborder si bien qu'à la fin, puisqu'on ne peut pas s'ignorer dans cette ville ou ne pas saisir la perche qui vous est tendue à demi-yeux, c'est eux qui le font. On échange quelques mots en français, puis nos contacts facebook, et moi je prends une photo.
Puis, progressivement, dans le théâtre d'ombres et de lumières plaquées je m'approche des petits qui vendent tout, à l'unité, pour presque rien.

Je prends plaisir à voir ces petites choses transportées, exposées et vendues à la manière d'une dinette d'enfants, comme quand je jouais à la marchande, ou quand, dans la cité de mon enfance, j'allais acheter au comptoir en bois d'une case en tôle un bonbon. Un parce qu'on n'en veut pas deux, parce que c'est possible et que ça suffit. Pour moi la ville est un terrain de jeu, une remontée dans le temps, mais je ne risque rien.



La saison des agrumes agrémente de taches claires et chaleureuses le vert sombre des îlots de nature, les terrasses ou les jardins cachés à l'intérieur des palais. Mais à regarder de près le visage de celui qui les vend, j'ai froid pour lui.







Je les laisse tous poser comme ils en ont envie, j'accepte leurs mises en scène, je renonce à aller creuser la surface pour - le croit on vraiment ? - révéler le naturel. C'est bien la première fois que j'interviens si peu. Finalement, la main desserrée dessine des formes un peu raides, des existences frèles et moyennes, dans lesquelles je me retrouve avec le même plaisir qu'un rat dans la farine.









Dans la ville où tout bouge sans cesse, je m'arrête pour regarder ceux qui devraient bouger mais ne le font pas. Lui sur son trottoir et moi sur le mien, nous dansons la danse des solitudes croisées.
Plus loin, sur la Lungomare, Madame photographie avec amour sa fillette qui pose avec une grâce de figure peinte.
Et Monsieur passe très soigneusement le balai devant sa baraque à friandises recouverte de réclames.





Une autre femme enfourche son scooter, j'envie sa décontraction et je l'attrape au vol.











Enfin, Piazza Dante, une reine en deuil pénètre dans l'image alors que je m'apprête à circonscrire une horde de chaussons en peluche taillés dans des peaux de léopard.

Je la laisse faire. Je n'ai pas le choix.
C'est ça Naples, et c'est la vie !

(À suivre…)

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lundi 24 octobre 2016

La fugue - feuilleton napolitain (5)

 

 

La ville qui me regarde







Dans l'épisode précédent, ma fugue-pomelo épluchée et les quartiers de peau jetés aux poissons, j'ai écrit, sans trop y penser, que Naples représentait un avenir imprévu et vibrant.

Mais comment peut-on faire un avenir avec des photographies qui ne sont faites que de passé ? Et comment est-ce que je pourrais écrire sur mon avenir dans une ville, alors que je n’y habite pas?
Peut-être que la question est plutôt : comment est-ce que cette ville me donne l’idée d’un avenir, _ grâce à sa vie _ et que reprendre goût à la vie, c'est reprendre goût aux gens.

Et à les photographier.

 

Dans tous les différents moments, le monde a toujours été la solution. Le caresser grâce à une photographie, et qu'il vous touche aussi. C'est ça, l'important, être touchée par le monde et grâce à ce contact, devenir un peu plus vivante, un peu plus animée, une part du tout.

Je ne vais pas trop écrire cette fois, j'ai envie d'ouvrir pour vous la porte des images et vous faire rencontrer Naples.



Une chose quand même, avant de commencer. Ce n'est pas anodin que ce soit dans cette ville que mon envie de photographier soit revenue. Les gens là-bas, ils vous regardent. Dans les yeux, sans gêne, et longtemps. Au début ça m'a mise mal à l'aise, tous ces contacts appuyés, pas moyen de passer inaperçue, de passer sans bruit comme je le fais habituellement. Ensuite, j'ai commencé à trouver ça plutôt rassurant et apaisant, même si les regards n'étaient sont pas tous détendus. Et cette proximité qui m'a sauté au visage m'a attachée définitivement à la ville.

La ville qui me regardait, j'allais la regarder aussi.



















 








Bien sûr, derrière chaque image il y a une histoire.  Mais on regarde parfois mieux en se taisant.

La semaine prochaine, on glissera sur le silence pour aller miroiter au large, portés et balancés par la houle.




(À suivre…) 

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mardi 18 octobre 2016

La fugue - feuilleton napolitain (4)





Là-bas ! Là-bas !




 

De l'autre côté du désir, il y a la peur. Mais on ne peut pas toujours avoir peur. Alors j'ai fini par monter à bord de l'hydroptère pour aller à Procida, l'île du bout de la fugue, l'île qui en était le but, si tant est qu'une fugue puisse avoir un but. Car alors, ça ne serait qu'un voyage.
Dans la fraîcheur pour une fois grise et humide de l'hiver, j'ai débarqué sur cette île faite de murs, et recouverte d'une fine couche de buée glacée déposée sur le crépis des demeures et la végétation des jardins.
Et on fait quoi quand on est arrivé au but ?
Bah, on attend avec son sac et sa doudoune. On s'attend, plutôt, à ce que le bonheur vienne, arrivant en courant derrière vous à grandes foulées sonores et vous tapant dans le dos à coup de mandales familières ! Eh, princesse, je suis là ! ça commence maintenant, à partir de cet instant tout va changer car tu l'as fait : tu es là où tu voulais être !

Mais il n'arrive pas, alors on trouve un hôtel. 





J'ai arpenté les routes désertes de mon Eden. La solitude était pénétrante comme l'humidité, après le chaos pétaradant de Naples, pourtant, cela me faisait du bien comme le connu réconfortant et légèrement ennuyeux d'une balade dans un village-rue de Moselle, une nuit d'hiver quand tout le monde est en famille, malade d'avoir trop mangé.





Ce n'est qu'à l'aube du lendemain que j'ai découvert l'horizon, la lumière transparente de l'eau calme, les fleurs posées sur les squelettes d'arbres, les oiseaux de paradis de décembre et l'excès de citrons, d'oranges, de mandarines, de clémentines, de pomelos, de pamplemousses, de bergamottes, de limettes.


 

J'y étais, oui, mais c'était mon jardin, le jardin de mon père et je l'entendais me scander encore et encore ses vers préférés de Goethe : « Kennst du das Land, wo die Zitronen blühn, in dunkeln Laub die Goldorangen glühn ? Dahin, dahin, da will ich ziehn !* »
Là-bas, là-bas, il voulait aller vivre ; il l'avait fait. Là-bas aussi je vivais et croyant m'enfuir en Italie je retrouvais en fait la maison.



Dans mon jardin retrouvé, il y avait : un cheval blanc entrainé à trotter le matin sur la colline ; une plage de sable noir sur laquelle la mer avait recraché ses détritus de plastique indigestes, mais au moins pas des réfugiés ; des femmes âgées et seules, une s'invitant sur la photo, l'autre m'invitant à boire le café dans sa cuisine trop grande pour elle dans le seul but de me raconter sa vie, en italien, sans que j'y comprenne rien ; et la dernière me laissant ses fleurs à photographier plutôt qu'elle.



Et un chat perché.



La fugue accomplie et repliée sur elle-même jusqu'à devenir aussi parfaitement ronde d'un pomelo de Procida, j'ai retraversé la mer, vers ce qui n'avait été qu'une étape mais qui devenait maintenant un avenir imprévu et vibrant : Naples.




(À suivre…)





* « Connais-tu le pays où les citronniers fleurissent, dans le feuillage sombre les oranges d'or rougeoient comme des braises ? Là-bas, là-bas, je veux aller vivre ! », d'après Johann Wolfgang von Goethe, dans le poème Mignon.

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