dimanche 25 septembre 2016

La fugue - feuilleton napolitain (1)


 

Partir (encore)





Naples a représenté beaucoup, tout à la fois, sans doute trop. Il y avait une revanche que je voulais prendre sur la vie, sur ma photo, mais il n’y avait pas que ça. Naples m’a appelée depuis 2008, depuis ce film où on n’en voit rien si ce n’est un vague plan d’une rue jaune avec des gamins noirauds qui s’agitent. Et l’île magnifique de Procida. Sans doute que ce qui m’appelait, ce n’était pas tant les lieux que l’idée de partir, le choix enviable de ce personnage qui plaque tout et disparaît pour faire autre chose de sa vie. 
La tentation toujours présente de la fugue. Et derrière la fugue le désir de la liberté la plus totale.

Une fugue, une revanche, une hargne. Se retrouver en friction avec le réel, les gens, la peur, le poids, la procrastination, les ratés, les trop tard ou les trop tôt. La difficulté crasse de la photo. Cette exigence que j’avais tellement adorée, que j’avais faite mienne et qui me semblait s’être retournée contre moi, comme un animal une fois dompté mais revenu à la vie sauvage, mordant son propre maître.

Partir pour embrasser, et se rendre compte qu’on bat des mains, qu’on embrasse de l’air et qu’on se frappe même l’épaule à force de ne rien saisir du tout. Le double qui devait m’appartenir n’était pas au rendez-vous. En fait, il s’en foutait bien de moi et je dus - je dois - tout réinventer. J’ai remonté la pente, surmonté la peur, mis du déo pour atténuer son odeur et persévéré à me frotter à ce réel rugueux, qui ne m’attendait pas et qui, je le répète, s’en foutait bien de moi et de mes idées de photos. Des nuages qui passent. 







C’est sans doute pour ça que Naples me convient tellement. La laideur, l’odeur, la crasse, la difficulté et la dureté de la vie quotidienne marquées sur les visages, ceux des tous petits qui font les sales métiers. Glaneurs de poubelles à peine pubères, petits vendeurs de rue trimbalant leurs étals de carton, et même au-delà de ces personnages que l’on pourrait presque héroïser, tout simplement les moches, les mal-fagotés, les bougons, les mauvais coucheurs, les petits escrocs. Et les laides, les vulgaires, les porteuses de léopard synthétique, les grandes gueules, les ripolinées. Mais je m'y sens à l’aise. La vraie vie c’est ça, c’est la merde, c’est la déglingue, la galère, les regrets et les espoirs foutus. Une jambe de bois, un bras tordu, la gueule de travers – et tu avances encore. Pas de mensonge, de rêves inutiles pourvoyeurs de déceptions. Du concret en mauvais état. Au moins ça ressemble à quelque chose.





Je n'ai pas cherché le spectaculaire dans ces photos, pas de misère exhibée ou de jugement porté. Peut-être que je n'ai pas réussi à transcrire la vie de la ville. Pour l’instant, et pour une raison que j’ignore, tout est toujours très calme, paisible et un peu lourd, un truc que je trimbale sans doute avec moi, une tristesse, une solitude, une distance profonde. Est-ce que j’ai été jusque là-bas pour me photographier moi-même ? L’empreinte de moi, comme l’intérieur d’un gant dont on aurait à peine retiré la main et qui en garde un instant la tiédeur et la forme avant de retomber à plat.
En tous cas, à chaque fois que j’y vais, l’intensité de la vie me prend de plein fouet, je la respire, je l’avale comme un paquet d’embrun qui me coupe le souffle, me fait cracher et tousser.
Mais j'adore ça.

Alors la prochaine fois, forcément, je vous parlerai d'amour.



(À suivre…)

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