mardi 1 novembre 2016

La fugue - feuilleton napolitain (6)

 

 

Les petits et les tristes







De l'avant vers l'arrière, l'eau roule et brille lentement.
La lumière de Naples me dissout, moi-aussi.






Je vais sur ma place favorite, des groupes d'ados jouent au foot et les lions encaissent les buts. Sur les lions, d'autres ados. Je n'ose pas les aborder si bien qu'à la fin, puisqu'on ne peut pas s'ignorer dans cette ville ou ne pas saisir la perche qui vous est tendue à demi-yeux, c'est eux qui le font. On échange quelques mots en français, puis nos contacts facebook, et moi je prends une photo.
Puis, progressivement, dans le théâtre d'ombres et de lumières plaquées je m'approche des petits qui vendent tout, à l'unité, pour presque rien.

Je prends plaisir à voir ces petites choses transportées, exposées et vendues à la manière d'une dinette d'enfants, comme quand je jouais à la marchande, ou quand, dans la cité de mon enfance, j'allais acheter au comptoir en bois d'une case en tôle un bonbon. Un parce qu'on n'en veut pas deux, parce que c'est possible et que ça suffit. Pour moi la ville est un terrain de jeu, une remontée dans le temps, mais je ne risque rien.



La saison des agrumes agrémente de taches claires et chaleureuses le vert sombre des îlots de nature, les terrasses ou les jardins cachés à l'intérieur des palais. Mais à regarder de près le visage de celui qui les vend, j'ai froid pour lui.







Je les laisse tous poser comme ils en ont envie, j'accepte leurs mises en scène, je renonce à aller creuser la surface pour - le croit on vraiment ? - révéler le naturel. C'est bien la première fois que j'interviens si peu. Finalement, la main desserrée dessine des formes un peu raides, des existences frèles et moyennes, dans lesquelles je me retrouve avec le même plaisir qu'un rat dans la farine.









Dans la ville où tout bouge sans cesse, je m'arrête pour regarder ceux qui devraient bouger mais ne le font pas. Lui sur son trottoir et moi sur le mien, nous dansons la danse des solitudes croisées.
Plus loin, sur la Lungomare, Madame photographie avec amour sa fillette qui pose avec une grâce de figure peinte.
Et Monsieur passe très soigneusement le balai devant sa baraque à friandises recouverte de réclames.





Une autre femme enfourche son scooter, j'envie sa décontraction et je l'attrape au vol.











Enfin, Piazza Dante, une reine en deuil pénètre dans l'image alors que je m'apprête à circonscrire une horde de chaussons en peluche taillés dans des peaux de léopard.

Je la laisse faire. Je n'ai pas le choix.
C'est ça Naples, et c'est la vie !

(À suivre…)

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